22 Décembre 2022
(sans autre commentaire, sinon que le diagnostic écologique du Lac n'en est pas épargné )
Avant un chantier, des naturalistes doivent analyser la flore et la faune d’un site. Mais ils subissent des pressions, voire participent malgré eux à la destruction du vivant. Une perte de sens qu’ils confient à Reporterre.
https://reporterre.net/Pressions-convictions-moyens-le-blues-des-naturalistes-en-bureau-d-etudes
On leur demande de minimiser les conséquences environnementales d’un projet immobilier. D’omettre — « dans le doute » — une espèce protégée d’un inventaire. De sélectionner les mesures compensatoires les plus faibles. Au sein des bureaux d’études environnementaux, les experts naturalistes subissent des pressions parfois subtiles, parfois directes.
Leur métier : fournir l’étude d’impact nécessaire à bien des projets fonciers. Pour cela, ils répertorient la faune et la flore du site du futur chantier et analysent à quel point ce dernier menace la survie de ces espèces. Or, si leur travail déplaît au maître d’ouvrage [1], il peut être tenté de faire pression sur le bureau d’études. Ornithologue de 2017 à 2019, Léo [2] se souvient : « Il peut demander si on est sûr des impacts, si on n’a pas exagéré nos estimations et tenter de les revoir à la baisse. »
Chaque agence dispose d’experts qui vont mener des inventaires sur le terrain selon leur spécialité : botaniste, ornithologue, chiroptérologue… Chacun rédige un diagnostic environnemental sur les conséquences des aménagements et de l’artificialisation des sols sur le terrain choisi. En fonction de cette analyse, les naturalistes proposent des mesures pour atténuer la dette écologique, fondées sur la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC). Les chargés d’étude rendent ce rapport à un chef de projet, en lien direct avec le client.
Si les bureaux sont censés rendre une expertise indépendante, ils doivent néanmoins satisfaire une commande. « Il y a un équilibre à avoir pour ne pas perdre ses projets. Stratégiquement, le bureau d’étude veut faire plaisir au client pour le garder », soupire Matéo [*]. Lui qui fut ornithologue en bureau d’étude de 2014 à 2019 dans le Languedoc-Roussillon est aujourd’hui naturaliste indépendant.
Les promoteurs redoutent particulièrement les espèces dites « parapluies » [3], rares ou fragiles, et donc capables de faire capoter leurs projets. Chargée d’études faune dans les Hauts-de-France, Aria [*] a « entendu [s]on responsable inviter un collègue à, “dans le doute”, ne pas faire apparaître une espèce protégée dans un rapport et ne pas retourner vérifier sa présence sur le terrain. »
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Une fois rédigées, les études d’impact sont examinées par les services spécialisés des préfectures : les Dreal (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) et leurs relais départementaux, les DDT (directions départementales des territoires). Les fonctionnaires auscultent le nombre d’inventaires, leur périodicité, la qualité de l’analyse et les démarches mises en œuvre avant de délivrer une autorisation environnementale.
Un travail de bureau, chronophage, avec peu de temps pour vérifier la véracité des faits sur le terrain. Agente de la DDT dans un département du centre de la France, Sofia [*] soupire : « On le souhaiterait, mais on n’est pas assez nombreux. On doit croire sur parole le bureau d’études. Je n’ai que deux jours par mois pour aller sur le terrain. » C’est pourtant sur son esprit critique que les écologues misent pour rétablir l’équilibre des études biaisées. « Parfois, le client ne veut rien savoir et demande les mesures compensatoires minimums. On croise alors les doigts pour que le dossier ne convienne pas aux services de l’État, confie Emma [*], botaniste en Bretagne depuis 2016. Si on tombe sur un agent mou du genou et que le dossier passe, c’est désespérant. »
Les fonctionnaires ne sont pas dupes. Sofia remarque les « coquilles grossières » laissées par des écologues opposés aux projets et capables de bloquer des dossiers. « Si tout rentre dans les cases imposées par la législation, on ne peut pas dire non. C’est frustrant pour nous aussi, souligne-t-elle. Le bureau d’études espère que l’État dira non. Nous, on espère que les associations environnementales vont se lever sur l’enquête publique. »
Le pouvoir des préfectures est aussi limité par les enjeux politiques et économiques. Pour les dossiers sensibles, les décisions sont prises directement par le préfet. « Notre hiérarchie nous demande alors d’arrêter de chipoter parce qu’il y a des enjeux supérieurs », déplore Sofia.
« Notre hiérarchie nous demande alors d’arrêter de chipoter »
Les naturalistes doutent également des capacités de l’État à suivre sur le long terme les promesses des entreprises.
Patrice Valantin s’interroge : « Les mises en œuvre des mesures de compensation courent sur cinquante ans, or les effectifs de contrôle n’augmentent pas. Comment les Dreal vont-elles pouvoir surveiller un nombre croissant de sites dédiés à la compensation ? » Au sein de la DDT, Sofia confirme : « Ça nous arrive d’aller vérifier des sites de compensation quand on passe à proximité. Mais il n’y a pas de suivi à long terme. »
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Pie-grièche écorcheur, le bruant, le chardonneret... Selon un naturaliste, 75 espèces protégées vont être touchées par la construction de la RN88, la « route de Wauquiez ». © Estelle Pereira/ReporterreDéjà témoins de l’érosion de la biodiversité, les jeunes écologues en deviennent les acteurs. Matéo observe : « On se retrouve dans une situation de dissonance cognitive : il faut accompagner le porteur de projet dans son contexte réglementaire, tout en essayant de protéger la biodiversité. Mais pour quelqu’un qui nous croise sur son terrain, on est les croque-morts venus prendre les mesures du cercueil. » Bien que d’accord avec cette vision, Loïg nuance : « Certains aiment être l’interface entre l’aménagement du territoire et la biodiversité. C’est grâce à ce métier que l’on peut concilier les deux et ne pas se cantonner à mettre la nature sous cloche ou tout bétonner sans arrière-pensées. »
Pour les naturalistes, l’origine du mal-être provient également d’un cadre réglementaire inadapté. Du principe « éviter, réduire, compenser », la dernière carte est souvent la plus jouée, car elle ne nécessite pas de remettre en cause le projet. Au dam des naturalistes, qui savent la vacuité d’une telle mesure. « On ne peut pas compenser la destruction d’un écosystème qui a mis des centaines d’années à se former », souligne Loïg.
« On est les croque-morts venus prendre les mesures du cercueil »
À ces dilemmes moraux s’additionne un rythme de travail « dense » relèvent plusieurs personnes interrogées par Reporterre. « Souvent, il n’y a pas assez de temps pour faire les inventaires, constate Léo. On dit que les études sont “mal vendues”, c’est-à-dire que quand les chefs de projet vendent l’étude, ils mettent trop peu de jours de terrain. Parfois, j’avais tellement peur de mal faire le boulot que j’y retournais le week-end. »
Le développement des bureaux d’études n’a pas encore permis l’éclosion d’un corps intermédiaire pour représenter ces salariés. Pour Sophie Leguil, botaniste qui a travaillé outre-Manche, cette lacune est révélatrice du manque d’organisation de sa profession : « Ça m’a surpris en revenant en France, je pensais bêtement qu’il y aurait une organisation similaire à celle que je fréquentais en Angleterre, qui me permettait d’accéder à des formations, des aides, des grilles tarifaires, qui existent dans d’autres professions. »
Essorés, certains écologues jettent l’éponge et se reconvertissent. D’autres profitent de l’expérience acquise pour se faire une place au sein des associations au diapason de leurs convictions. Ceux qui ont eu l’occasion de se spécialiser se lancent parfois en indépendants et sous-traitent des dossiers pointus pour les bureaux d’études, tout en se laissant la liberté de refuser certains projets.
Un constat amer, qui ne doit pas occulter que ce secteur et sa législation sont en plein développement. Quasiment inexistante au début des années 2000, la filière n’a pris son essor qu’à partir de 2008 grâce à l’obligation de compensation. Preuve de l’explosion récente du secteur, l’UPGE est passée d’une dizaine de membres en 2015 à 110 en 2022.
Depuis, les lois se sont durcies. La prise en compte de l’environnement aussi. Pour Patrice Valantin, « on a beaucoup progressé depuis 2008, mais on a tout juste fait 10 % du travail. Le système n’est pas satisfaisant. Il faut améliorer ces outils pour répondre au mal-être qui existe chez les jeunes écologues. »
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https://www.occitanie.developpement-durable.gouv.fr/la-dreal-occitanie-r7793.html
Sous l’autorité du préfet de région et sous l’autorité fonctionnelle des préfets de département, la DREAL assure :